1er congrès européen de l’Ordre à Straubing

160 collaborateurs et frères d’établissements Saint Jean de Dieu d’Europe s’occupant de personnes handicapées se sont réunis à Straubing, en Allemagne, du 25 au 28 juin 2012, sur le thème de la « participation » des personnes handicapées à la vie sociale. C’est la première fois qu’un tel rassemblement avait lieu au niveau européen, permettant ainsi aux collaborateurs des 8 pays représentés d’échanger sur leurs pratiques et d’approfondir la Convention des Nations-Unies de 2008, grâce à l’intervention d’acteurs politiques et sociaux européens.

 

Rassemblés sur les bords du Danube, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière tchèque, les participants venus de Pologne, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, d’Irlande, d’Autriche, d’Allemagne et de France, ont été chaleureusement accueillis au son d’un orchestre, et des collaborateurs allemands en tenue traditionnelle bavaroise. Le congrès européen avait lieu au sein même d’un établissement Saint Jean de Dieu qui accueille près de 400 adultes handicapés en diverses unités, constituant un véritable complexe ouvert sur la ville de Straubing.

Ce congrès européen a été voulu par l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu qui souhaite « rompre les frontières provinciales au profit de la Famille hospitalière en Europe », a rappelé Frère Donatus Forkan dans sondiscours d’ouverture (photo ci-contre). Avec la création récente d’un bureau de représentation de l’Ordre auprès de l’Union européenne à Bruxelles, le rassemblement de Straubing s’inscrit dans cette volonté de « faire corps »dans le but non seulement de permettre aux collaborateurs d’échanger sur leurs pratiques et initiatives au service des personnes handicapées, mais aussi de donner davantage de poids à la voix de l’Ordre hospitalier pour défendre la dignité des personnes handicapées dans la vie politique et leur permettre une vraie participation à la vie sociale.

L’image des personnes handicapées a beaucoup changé ces dernières décennies, grâce au travail important de leurs familles notamment, mais aussi de lobbies politiques, associatifs ou religieux. « Aujourd’hui ces personnes ne sont plus considérées comme seul sujets caritatifs, mais on leur reconnaît un apport enrichissant à la société et à l’Eglise. « Cependant, a poursuivi Frère Donatus, « il reste encore de trop nombreuses situations dramatiques dans lesquelles vivent des personnes handicapées. Notre rôle est de rappeler qu’elles manifestent la gloire de Dieu à travers  leurs talents, leur persévérance, leur manière d’approcher les autres hommes. Ils sont capables d’être parties intégrantes de la société et ils le veulent ! »Rappelant l’exemple de saint Jean de Dieu qui a lui-même basé son ?uvre sur une expérience douloureuse d’exclusion, Frère Donatus Forkan a encouragé les participants « à voir comment il a transformé cette exclusion en expérience positive. Malgré ce qu’il a souffert, il n’a pas succombé à la colère, mais il a ouvert une maison pour accueillir les pauvres, les veuves, les prostituées’ et leur a ainsi rendu leur dignité. »

Pour le supérieur général, lui-même d’origine irlandaise, « les conditions des personnes handicapées sont différentes selon les pays européens, mais pour nous, à Saint Jean de Dieu, nous sommes tous animés par cette volonté commune de faire leur bien, que soit respectée leur dignité en tant qu’êtres humains et enfants de Dieu. Nous avons la chance d’avoir beaucoup de textes politiques qui protègent les droits de l’homme. A nous de passer ces objectifs du papier au terrain en défendant les droits de chacun à l’éducation, à la formation, au travail au travers de nos valeurs. » Pour cela, a-t-il conclu, « il nous faut être non seulement des professionnels reconnus, mais aussi que nos c?urs soient ouverts à ce travail. »

Tout au long du congrès, différentes interventions traduites simultanément en 5 langues ont permis de faire le point sur la Conventiondes Nations-Unies du 3 mai 2008 relative aux droits des personnes handicapées (cf encadré ci-dessous). Ce texte reste aujourd’hui très peu connu et peu suivi de faits au niveau local et nécessite par ailleurs d’importants moyens financiers pour être appliqué, « d’où l’intérêt d’unir nos forces pour obtenir le soutien politique et financier nécessaire. »

Pour Valentin Aichele, membre de l’Institut allemand pour les droits de l’homme, ce document souligne en particulier deux points. Le premier concerne l’importance d’adapter le contexte social et structurel à la personne handicapée afin qu’elle puisse vivre aussi normalement que possible. Dans un monde où plus d’une personne sur 6 est handicapée, « on note que c’est finalement l’environnement qui handicape ces personnes. » Le second point aborde le problème de la ségrégation des personnes handicapées. « Du fait de la crise, on constate aujourd’hui une tendance de désolidarisation, a souligné Valentin Aichele. Les gens pensent qu’il y a d’autres urgences à gérer en termes de dépenses financières, que les personnes handicapées. C’est notre rôle de dire qu’il ne faut pas les oublier. »

La Convention relative aux droits des personnes handicapées a été adoptée le 13 décembre 2006. Elle a été ouverte à la signature le 30 mars 2007 et est entrée en vigueur le 3 mai 2008. On compte à ce jour 82 signataires, dont 22 pays membres de l’Union européenne. Ce document effectue un large classement des personnes handicapées par catégories et réaffirme que toutes les personnes qui souffrent d’une quelconque infirmité doivent bénéficier de tous les droits et libertés fondamentaux. Il éclaire et précise la façon dont toutes les catégories de droits s’appliquent aux handicapés et désigne les domaines où des adaptations permettraient à ces personnes d’exercer effectivement leurs droits, ainsi que les domaines où il y a eu violation de droits et où il convient de renforcer la protection de ces droits.

La Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées, la première à avoir été rédigée en faisant intervenir de nombreux partenaires travaillant dans le monde du handicap et pas seulement des politiques, n’est ni plus ni moins qu’une concrétisation de la charte des droits de l’homme.« C’est un vrai bijou qui, dans les textes, ouvre de nombreuses portes pour favoriser les droits des personnes handicapées. Il est important de l’étudier et de la faire connaître pour faire en sorte qu’elle soit appliquée comme il faut. En Allemagne, seulement 14% de la population a entendu parler de cette convention ! », a regretté Valentin Aichele. « Tout le monde, quelles que soient ses conditions physiques, a le droit d’appartenir et de participer de manière inconditionnelle à la société. C’est la notion d’inclusion soulignée par la convention, qui veut que les personnes handicapées aient la possibilité de tisser des liens avec d’autres et de vivre au milieu des autres. Il s’agit d’apprécier la diversité en mettant en avant d’abord les talents des personnes handicapées et non leur handicap. »

Exemple concret de cette inclusion, la mise en place croissante de logements adaptés en milieu urbain, ou encore des « ateliers protégés » (qu’on appelle en France les Etablissements spécialisés d’aide par le travail). Pour Thomas Umsonst, directeur de l’association nationale des ateliers protégés en Allemagne, ces ateliers permettent une communication à double sens, des personnes handicapées vers la société, et inversement. Cet échange mutuel est indispensable pour Thomas Umsonst, qui précise que ces ateliers nécessitent toutefois un changement de mentalité de la part des pouvoirs publics comme des clients. « Dans un marché normal, il y a des gagnants et des perdants. Or dans le monde du handicap, il y a peu de gagnants. Il faut donc que les Etats et la société s’engagent à leur assurer une certaine autonomie vis-à-vis des marchés financiers, à travers un marché économique social. La plus grande préoccupation des politiques devrait être le bien de l’homme et non pas les intérêts économiques. »

Autre exemple d’inclusion abordé au cours du congrès, celui du logement. Monika Siefert, de l’Académie catholique allemande des sciences sociales, a rappelé l’importance, dans le contexte socio-politique actuel, de laisser aux personnes handicapées le libre choix du lieu de résidence, que ce soit en institution ou à l’extérieur. Dans ce deuxième cas, la Convention des Nations-Unies demande aux pouvoir publics de favoriser l’accès aux services d’assistance, afin de soutenir l’inclusion des personnes handicapées dans la vie locale. Pour Monika Siefert, cette insertion doit être pensée et décidée en fonction des souhaits des personnes handicapées elles-mêmes. « Il faut les reconnaître comme des interlocuteurs sur un plan d’égalité et ne pas hésiter à les encourager à participer à la vie politique locale. Cela leur permettra d’élargir leurs réseaux sociaux, de favoriser les lieux de rencontres’ Plus elles seront visibles, plus elles seront intégrées dans les réflexions de la vie locale. » Aujourd’hui, en Allemagne, plus de 40% des femmes et des hommes qui vivent en foyer disent vouloir vivre dans leurs propres appartements favorisant leur indépendance et leur intégration. Un tel débat sur l’inclusion oblige les institutions concernées à se pencher sur d’autres aspects : le soutien professionnel, l’insertion dans l’environnement immédiat, l’accessibilité, etc. « La réflexion doit conduire à la mise en place d’un espace social qui sécurise et favorise la personne handicapée, a souligné Monika Siefert en évoquant la richesse des immeubles intergénérationnels. En contre partie, cet espace social permettra de sensibiliser la population au monde du handicap. »

L’inclusion et la participation des personnes handicapées est également un sujet de préoccupation pour l’Eglise catholique, a souligné pour sa part Simone Bell-D’Avis, directrice du bureau de pastorale pour les handicapés auprès de la Conférence des évêques allemands. « L’autonomie est une notion qui a pendant longtemps été abolie sous prétexte de charité, mais on peut et on doit arriver aujourd’hui à davantage de communion entre les gens pour bannir l’exclusion, a-t-elle affirmé. On peut guérir le handicap en adaptant nos structures pour les rendre plus accessibles ». « L’Eglise reconnaît le handicap, a conclu la théologienne, mais en reconnaissant que les personnes handicapées sont des créatures de Dieu, elle leur rappelle combien elles sont aimées en tant que personnes et travaille activement à la reconnaissance de leurs droits au sein de la société, comme en témoignent les établissements Saint Jean de Dieu à travers le monde. »

La délégation française présente à Straubing était composée de collaborateurs des Centres Saint Jean de Dieu du Croisic et de la rue Lecourbe à Paris, ainsi que du Frère Aloïs Michel. Pour Anna Barthélémy, responsable du pôle éducatif de l’établissement du Croisic, « ce congrès a été très enrichissant, permettant d’échanger avec d’autres collaborateurs européens et de revenir avec plein d’idées en tête. » « Notre établissement est déjà très ouvert sur l’extérieur et nous travaillons beaucoup avec les acteurs locaux non seulement pour que l’inclusion soit possible, mais aussi pour que le grand public soit sensibilisé au handicap. Le principal défi pour nous en France, a-t-elle ajouté, c’est d’arriver à appliquer les principes de la Convention des Nations-Unies malgré les règlementations françaises de plus en plus nombreuses et parfois en contradiction avec ces notions d’inclusion et de participation. » Même constat pour Fatima El Asraoui, collaboratrice du Centre Saint Jean de Dieu de Paris, qui souligne l’importance « de réfléchir ensemble et régulièrement, avec les personnes handicapées, à la manière de répondre toujours plus en cohésion avec leurs besoins. »