
SOS pour la santé mentale en Afrique
- 14 décembre 2015
En Afrique, la santé mentale est souvent le parent pauvre des soutiens financiers ou humains internationaux, déplore Frère Leopold Faye, actuellement en visite à la province de France. Frère hospitalier de Saint Jean de Dieu et administrateur du centre de santé mentale de Thiès au Sénégal, il nous livre son témoignage d’infirmier auprès de malades encore trop souvent stigmatisés.
Au Sénégal, l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu répond aujourd’hui aux besoins de près de la moitié de la population atteinte de troubles psychiatriques, grâce à deux centres de santé mentale qui collaborent étroitement avec le Ministère de la santé et l’hôpital universitaire de Dakar, entre Thiès et Fatick. L’objectif étant de prendre en charge des patients refusés par ailleurs et de les aider à se réinsérer dans la société une fois stabilisés.
A Thiès comme à Fatick, ces centres s’appellent Dalal-Xel, ce qui signifie « repos de l’âme » en wolof. « A Thiès, le centre a été créé en 1994 et, depuis, nous avons accueilli 33.000 patients qui sont encore suivis pour la plupart », raconte Frère Léopold, infirmier psychiatre de formation. 36 collaborateurs soutiennent les trois frères sénégalais dans ce centre qui accueille 350 nouveaux patients en hospitalisation chaque année. « Nous sommes aujourd’hui reconnus pour la qualité de nos soins, la qualité de l’accueil, l’attention portée aux patients, c’est pourquoi beaucoup de familles n’hésitent pas à faire plusieurs centaines de kilomètres pour nous amener un patient. »
Dans un pays où plusieurs traditions se côtoient, la psychiatrie n’a jamais été bien perçue. « Une famille n’osera jamais dire qu’un de ses membres a des troubles mentaux, parce que si elle le fait, elle sera la honte de l’entourage. Souvent, on pense que la maladie mentale est d’origine mystique ou le coup d’un sort. C’est pourquoi beaucoup préfèrent aller voir un marabout et ne viennent chez nous qu’en dernier recours, une fois la maladie bien avancée. On essaye donc de faire de la sensibilisation, en expliquant que plus tôt est prise en charge la pathologie, plus on a de chance de stabiliser le patient. Parfois même, confie Frère Léopold, certaines familles abandonnent un des leurs devant la porte du centre et disparaissent ensuite pour qu’on ne les reconnaisse pas’ »
Le centre Dalal-Xel de Thiès accueillait, au début de ses consultations, beaucoup de personnes atteintes de schizophrénie. Mais vers 2005, les frères ont constaté une autre évolution du profil des patients. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes viennent pour des troubles liés à la drogue ou l’alcool ou d’autres produits psycho-hallucinogènes. De plus en plus de patients viennent pour des troubles anxio-dépressifs. Pour Frère Léopold, le chômage, les problèmes familiaux, l’augmentation de la population et donc de la précarité et de l’hébergement sont les principales causes. « Nous collaborons avec l’université de Dakar pour faire des recherches sur le comportement des populations et le lien avec les traditions culturelles, parfois dures envers les membres d’une ethnie. Cela nous permet de mieux comprendre nos patients et d’adapter nos soins pour les faire accepter. »
Aujourd’hui débordé par l’afflux des patients, avec près de 80 consultations par jour pour 4 médecins et un infirmier, Frère Leopold espère de nouveaux moyens pour faire évoluer la structure. « Nous nous rendons compte qu’il nous faut de plus en plus faire des soins de base. Quand un malade arrive de la rue, par exemple, il nous faut d’abord soigner son état général, avant de lui donner des neuroleptiques ou des psychotropes. Nous passons beaucoup de temps au suivi social de chaque personne qui arrive ! Et puis nous voudrions développer les activités thérapeutiques que nous avons commencées sur place, pour, à terme, ouvrir un foyer de jour avec activités de couture, de jardinage, d’ergothérapie, etc. On s’est rendu compte que ça facilitait la réinsertion socio-familiale. »
L’établissement privé de service public ne reçoit aucune subvention de l’Etat et vit uniquement de ses revenus, complétés par des dons indispensables venus principalement d’Europe, bien qu’en nette diminution. « Nous avons dû faire évoluer nos pratiques en fonction, comme le fait de faire payer les médicaments, alors qu’avant ils étaient gratuits. Pour nous, la venue de volontaires européens spécialisés dans le domaine de la santé mentale est également très importante car cela nous permet de faire évoluer nos pratiques. Grâce à cela, par exemple, on a appris à faire accepter le traitement, au lieu de l’imposer. Ce sont des échanges qui valent largement une aide financière ! »
D’autres idées viennent des visites des frères africains dans d’autres établissements psychiatriques Saint Jean de Dieu ailleurs dans le monde. « Je dois me rendre prochainement au CH Dinan / Saint-Brieuc de la Fondation Saint Jean de Dieu et j’espère apprendre encore beaucoup de la manière de faire dans ce centre ! »