Comment est né l’Ordre à Madagascar ?

Alors que l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu s’apprête à inaugurer son 360ème établissement, à Madagascar ce 23 avril, retour sur une belle aventure avec le provincial de France, Frère Alain-Samuel Jeancler.

Comment a démarré l’aventure malgache ?
Dans les années 1950, nous devions venir à Madagascar, avant même notre installation à l’Ile Maurice, la Réunion et Rodrigue. Mais à l’époque, l’instabilité politique de cette ancienne colonie française ne nous a pas permis de concrétiser ce désir. Par conséquent, les frères de France sont allés fonder dans l’Océan indien. Il a fallu attendre 40 ans pour que le contact avec la Grande Ile s’établisse de nouveau.
Alors que j’étais secrétaire provincial, un certain Jean-Marie Ramahefason nous a écrit à Paris pour nous dire qu’il voulait devenir frère. C’était en 1993. Nous l’avons envoyé se former en Afrique où il a fait profession temporaire avant de venir en France durant 10 ans. C’est ainsi que Frère Jean-Marie est devenu le premier frère malgache de l’Ordre hospitalier. Pendant ce temps, d’autres candidatures de jeunes sont arrivées, on les a fait venir en France mais ça s’est soldé par un échec. Certains d’entre eux, en revenant à Madagascar, sont restés en lien et se sont mis à prier saint Jean de Dieu ensemble, à pratiquer l’hospitalité, et à maintenir un contact épistolaire avec la province de France. Au fil du temps leur nombre s’est accru sans qu’aucune communauté de frères ne soit présente sur la Grande Ile ; il devenait donc urgent de décider quelque chose, mais quoi ? Lors du chapitre de 2007, les frères de France réunis ensemble ont alors décidé de faire le pas : Frère Bernard Thibault a été envoyé pour prospecter à Madagascar. Il logeait alors chez les assomptionnistes qui nous ont toujours accueillis avec beaucoup de bienveillance pendant ce temps de discernement de notre Province. Claude et Marie-Francine Debret, un couple d’amis de l’Ordre qui venaient de prendre leur retraite, ont rejoint Frère Bernard pour quelques mois, d’abord dans une petite maison louée à Talatamaty, puis, dans l’actuelle maison du quartier de Marohoho, à Antananarivo, en 2009. C’est là que Frère Jean-Marie, Frère Bernard et Frère Mathieu, arrivant de France, ont constitué la première communauté érigée canoniquement en 2010, et ont accueilli les premiers jeunes malgaches.

Quelle était alors la mission des frères ?
Très vite, les frères ont monté un dispensaire et, surtout, ont structuré le parcours de formation des jeunes qui gravissaient les échelons du discernement (postulat, noviciat, scolasticat). En parallèle, ils ont commencé une mission d’hospitalité chez les soeurs carmélites missionnaires de Toungarivo, où sont accueillis les indigents, notamment de nombreuses personnes handicapées. Les frères exerçaient leur mission telle que les soeurs le souhaitaient, mais très vite, on s’est rendu compte que ça ne correspondait pas à notre manière d’exercer l’hospitalité. Après en avoir fait moi-même l’expérience, j’ai pris conscience que le temps était venu de se réapproprier le désir de saint Jean de Dieu : « Jésus-Christ, faites-moi la grâce d’avoir un hôpital où je recueillerai les pauvres abandonnés et ceux qui ont perdu la raison et je les servirai du mieux que je pourrai. » Saint Jean de Dieu a fait ce choix au moment où il était lui-même au fond du trou, traité à coups de bâtons parmi les fous. Finalement, c’est dans cette déchéance, quand l’homme est vide de lui-même, que Dieu se révèle à lui. Cette révélation renvoie vers une mission, celle de l’hospitalité. C’était la naissance du charisme de l’hospitalité qui se vit aujourd’hui dans l’Ordre hospitalier à travers 53 pays. Pour nous, le moment était venu de transmettre ce don qui nous a été fait, à ceux qui en avaient besoin.

Et c’est là qu’est venue l’idée de créer un centre de santé mentale à Imerintsiatosika ?
A partir de là, les frères de Madagascar ont commencé à prospecter les besoins. C’est bien de vouloir une oeuvre, mais pour qui ? pour quoi ? C’est en rendant régulièrement visite aux malades de l’unique hôpital psychiatrique de Madagascar, à Anjanamasina, connu aussi sous le nom de “PK 18”, que les frères se sont rendus compte que la santé mentale était encore un tabou et que les besoins des malades n’étaient pas pris en charge correctement. Ils n’ont pas fait un choix facile, car ce n’était pas un choix en fonction de leurs compétences ni de leurs désirs, mais bien en fonction des besoins. La psychiatrie fait peur, elle est cette partie de l’homme que l’on ne maîtrise pas, dont on ignore tout, surtout dans un pays où l’on continue de la considérer comme une malédiction. Ce sont les frères malgaches qui ont fait ce choix, tout autant à l’écoute des besoins de la population que de l’Esprit Saint. Ensuite, la province de France les a aidés à réfléchir à quel type d’établissement mettre en place, pour quel genre de malades. C’est là que nous nous sommes rendus compte que les malades sortant de l’unique hôpital psychiatrique étaient livrés à eux-mêmes. Nous avons donc décidé de leur donner les moyens de se réinsérer.

Quel rôle va jouer la province de France désormais dans ce nouveau centre ?
Ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, c’était relativement facile : construire ! Le défi, maintenant, pour les frères malgaches, va être d’inculturer l’hospitalité selon saint Jean de Dieu. Il y a vraiment une culture à aimer et à connaître pour faire surgir l’hospitalité qu’elle porte en elle. Il ne s’agit pas de venir avec nos modèles occidentaux et de vouloir les imposer, mais bien de prendre acte de ce qu’est la culture malgache et d’y incarner l’hospitalité léguée par notre fondateur. En venant sur terre, Dieu s’est incarné pour devenir l’un d’entre nous. S’implanter ici, partir en mission, ce n’est rien d’autre que suivre le même chemin de l’incarnation du Verbe. Pour ce qui est de l’avenir, la province de France va bien évidemment continuer d’accompagner les frères de Madagascar, tout en étant attentive à ce qu’eux-mêmes sont capables de faire, sans être toujours derrière eux. Etre dans l’effacement de l’action tout en restant comme garde-fou pour les aider au discernement.

La province de France est-elle appelée à être toujours plus tournée vers les missions ?
Beaucoup considèrent qu’aujourd’hui tous les besoins sont pris en charge en France, mais ce n’est pas le cas. On ne peut pas se dire qu’en France il n’y a plus rien à faire. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut être davantage tourné vers les missions ou rester chez soi. Il faut au contraire développer les liens entre nos cultures, car nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Regardez-nous en Europe, par exemple, avec nos codes, nos règles, nos protocoles, on peut se poser la question de ce qu’il reste du naturel, de la spontanéité de nos relations. On a beaucoup à recevoir du non-calcul des relations des êtres entre eux ici à Madagascar. Nous, nous avons besoin de remplir des pages de dossiers, de répéter, etc. Eux, ils expriment tout simplement ce qu’ils ont en eux, sans calculer.
Finalement, il nous faut tous apprendre à nous ouvrir à l’universel. Exactement comme cette nouvelle oeuvre d’Imerintsiatosika, dont les deux bras (l’établissement d’un côté, la communauté de l’autre) s’ouvrent sur le monde, avec le Christ au centre (la chapelle).
Aujourd’hui, la priorité est donc de se resituer, au sein de l’Ordre, au sein de l’Eglise, au sein du monde, pour jeter des ponts entre les personnes et permettre à l’hospitalité de St Jean de Dieu d’être vecteur de solidarité et de miséricorde entre les hommes.