
Frère Bartholomew Kamara, supérieur de la province Saint Augustin d’Afrique de l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu depuis 2010, est de passage en France dans le cadre d’une nouvelle stratégie de développement France / Afrique. Rencontre.
Frère Bartholomew, quel est l’objectif de votre présence en France ?
Je suis en France pour rencontrer le définitoire de la province de France avec le vice-provincial du Togo / Bénin. Cette réunion fait suite aux deux premières qui ont eu lieu il y a trois ans et l’année dernière en Afrique, à l’initiative de Frère Alain-Samuel Jeancler, le provincial de France, dans le but de consolider la collaboration entre nos provinces et d’établir de nouveaux partenariats notamment dans le domaine de la formation.
Comment est organisé l’Ordre en Afrique ?
Depuis 2010, le Togo et le Bénin constituent la vice province Saint Richard Pampuri. Les autres pays (Ghana, Sierra Leone, Liberia, Cameroun, Sénégal, Mozambique, Zambie et Kenya) sont réunis sous la responsabilité de la province Saint Augustin d’Afrique. Par ailleurs, deux récentes fondations, Malawi et Madagascar dépendent respectivement de la province de l’Europe occidentale et de la province de France.
En ce qui concerne la province Saint Augustin, j’ai, sous ma responsabilité, 1500 collaborateurs et 82 frères pour 16 centres Saint Jean de Dieu allant de l’hôpital général aux cliniques mobiles en passant par les écoles d’infirmiers. Vous pouvez imaginer les difficultés qu’il peut y avoir à gérer une province si grande, avec des différences linguistiques et culturelles importantes ! Mais le principal défi auquel ces pays doivent faire face aujourd’hui, pour la plupart encore soutenus financièrement par des pays occidentaux, est le même pour tout le monde : comment pérenniser nos ?uvres et les inscrire toujours plus dans cette vision d’une seule et même Famille hospitalière ?
Comment comptez-vous y parvenir ?
Nous devons apprendre à nous professionnaliser davantage et à devenir autonomes, tout en maintenant des partenariats avec les provinces européennes. C’est notre principal objectif aujourd’hui. Pour cela, il nous faut établir un plan stratégique qui prenne davantage en compte la formation des frères et des collaborateurs, ainsi que la mise en place d’investissements sur du long terme. Nous ne pouvons plus nous contenter de “faire confiance à la providence”, il nous faut lui donner un coup de pouce si nous voulons faire vivre pleinement le charisme de Saint Jean de Dieu là où les besoins nouveaux se font sentir ! Il nous faut confier certaines tâches à des laïcs compétents et mettre en place des solutions d’investissement durables. Nos donateurs, aujourd’hui, préfèrent savoir que leur argent sert à financer des projets sur du long terme, plutôt que d’acheter tel ou tel matériel qu’il faudra renouveler un jour ou l’autre.
C’est ambitieux !
Oui, mais c’est vital si, encore une fois, nous voulons pérenniser le charisme des frères hospitaliers en Afrique. Nous avons vu avec Ebola le rôle de premier plan que nous avons joué malgré les nombreuses difficultés auxquelles nous avons dû faire face. La population a fait confiance aux frères alors qu’elle refusait le matériel que lui distribuait le gouvernement. Pourquoi ? Parce que nous avons cette capacité à être authentiques dans notre mission, à promouvoir des valeurs fortes dont le seul intérêt est le service des plus pauvres. Il en va de notre responsabilité d’être crédibles dans notre mission et pour cela nous devons changer aujourd’hui les mentalités. Jusqu’à maintenant, chaque pays avait, historiquement, des liens plus particuliers avec telle ou telle province d’Europe (je pense à l’Espagne avec le Sierra Leone par exemple, ou encore à la France avec le Togo et le Bénin). Ces liens sont merveilleux mais il nous faut arriver aujourd’hui à travailler tous ensemble pour conduire ces objectifs à terme. Il faut former ceux qui reçoivent, mais aussi ceux qui donnent ! C’est le seul moyen pour que cette confiance soit au rendez-vous à tous les niveaux.
Vous souhaitez donc que les donateurs deviennent en quelques sortes des actionnaires de vos projets ?
Oui, c’est ça, mais pas uniquement. Ce que je souhaite, c’est que chaque donateur se sente partie prenante de la vie de l’Ordre en Afrique et ailleurs dans le monde. En donnant 100 euros à la province de France, le donateur sait qu’il soutient non seulement un établissement français, mais aussi de nombreux autres projets de Saint Jean de Dieu partout dans le monde où l’Ordre est présent. Je souhaite que chaque donateur, qu’il soit européen ou africain, se sente membre à part entière de la Famille hospitalière de par son don, quelle qu’en soit la hauteur. Pour cela, il nous faut également travailler à la communication de nos projets pour que tout le monde sache la multitude de projets mis en place et le rôle que nous jouons dans des épisodes tragiques comme Ebola, par exemple. Nous devons apprendre à faire les choses le mieux possible, de la manière la plus transparente possible, pour faire grandir la famille hospitalière. Et cette famille hospitalière, ce n’est pas un club, c’est une manière de vivre, une manière de faire le bien le mieux possible. Nous avons à marcher ensemble pour le bien de l’humanité.