
Ce 8 mars 2017, la fête de saint Jean de Dieu sera fêtée dans les 454 centres de l’Ordre hospitalier présents dans le monde entier. L’occasion de célébrer celui que l’on appelle communément le Père de l’hôpital moderne et qui est à l’origine de cette congrégation qui accueille, soigne et accompagne plus d’un million de personnes fragiles chaque année.
Cette année, cette fête aura une tonalité toute particulière à Lunsar, une petite ville de la Sierra Leone, puisque le plus grand hôpital catholique du pays a été fondé par les frères hospitaliers il y a tout juste 50 ans. A cette occasion, une délégation de la Curie générale de l’Ordre hospitalier, conduite par Frère Jesus Etayo, supérieur général, ainsi qu’une importante délégation venue d’Espagne (province fondatrice de l’Ordre en Sierra Leone), ont fait le déplacement dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, considéré comme l’un des plus pauvres du monde. Il a également fait dramatiquement la une des journaux, en 2014, pour avoir été un des théâtres du terrible combat contre l’épidémie d’Ebola.
C’est en 1967, à peine 6 ans après l’indépendance du pays du Royaume-Uni, que les premiers frères sont arrivés d’Espagne, à la demande de l’évêque du lieu, pour reprendre un hôpital appartenant au diocèse de Makeni. Très vite, les trois frères soignants ont relancé l’activité, décidant de la doubler par la mise en place de cliniques mobiles leur permettant de visiter les villages alentours et de cerner les besoins les plus urgents. C’est ainsi que, les années passant, l’hôpital s’est peu à peu étendu jusqu’à devenir un véritable village composé aujourd’hui, entre autres services, d’un dispensaire, d’une maternité, d’un laboratoire, de blocs opératoires ou encore d’une école d’infirmières. Au total, ce sont 100 lits, 114 collaobrateurs et 3 médecins dont un frère hospitalier. Sans compter les nombreux services extérieurs tels que la sensibilisation à la malnutrition et au suivi des femmes enceintes, la visite aux malades, etc.
Mais avant d’en arriver là, l’hôpital Saint Jean de Dieu de Lunsar a beaucoup souffert, d’abord de la guerre civile, de 1991 à 2002. Ayant décidé de rester sur place auprès de la population qu’ils étaient venus servir, les missionnaires ont toutefois dû fermer l’hôpital pendant près de 4 ans, entre 1998 et 2002. Une période dramatique et angoissante pour les frères dont certains ont été séquestrés, vivant un véritable cauchemard, mais sans jamais abandonner. L’un d’entre eux, Frère Fernando Aguilo, est présent pour cette fête de saint Jean Dieu, pour la première fois de retour depuis son départ à la fin de la guerre.
Et puis il y a eu l’épidémie d’Ebola, avec son emballement en 2014, causant la mort de Frère Manuel Garcia Viejo, médecin et première victime de l’hôpital, et dont le portrait accueille désormais tous les patients qui arrivent à l’hôpital. De nombreux collaborateurs, amis et voisins ont péri avec lui dans une période où le virus s’est propagé à toute vitesse, prenant de court centres de santés et ONG. Mais grâce à l’aide des provinces de l’Ordre à travers le monde et plus particulièrement de l’Espagne, celui que tout le monde appelle le Catholic hospital de Mabesseneh a peu à peu réouvert en prenant les précautions nécessaires à d’éventuelles nouvelles épidémies.
“C’est quand la tempête souffle que l’on voit si un arbre a des racines profondes”, souligne aujourd’hui Frère Raphaël en reprenant un proverbe africain. “On peut dire que le vent a soufflé fort sur l’hôpital de Lunsar, mais il est toujours debout et continue plus que jamais de prendre soin des plus faibles.” “Nous avons dû restructurer l’hôpital après Ebola, afin de faire face à d’éventuelles nouvelles épidémies, et maintenant la situation est presque revenue à la normale”, se réjouit pour sa part Frère Bartholomew Kamara, supérieur de la province d’Afrique et lui-même originaire de la Sierra Leone. Il reconnaît toutefois que les malades ont encore du mal à venir à l’hôpital, par crainte d’Ebola.
La santé des femmes et des enfants est l’un des plus gros enjeux de l’établissement Saint Jean de Dieu aujourd’hui, alors que les taux de mortalité infantile et maternelle sont parmi les plus élevés de la planète (27 enfants décèdent sur 100 naissances d’après les chiffres officiels). Pour cela, une équipe mobile parcourt chaque semaine les villages alentours, afin de sensibiliser les femmes à l’importance du suivi médical au cours de la grossesse, plutôt que le suivi par le médecin traditionnel. “Il est urgent de faire changer les mentalités”, synthétise Frère Bartholomew qui souligne aussi le manque de moyen. Les 3 médecins de l’hôpital Saint Jean de Dieu (dont Frère Patrick, arrivé pendant l’épidémie d’Ebola) couvrent toute la région de Mabesseneh, soit près de 100.000 personnes.
L’Ordre hospitalier ainsi que d’autres organisations internationales soutiennent l’établissement, qui a notamment reçu une aide financière du Vatican pendant l’épidémie d’Ebola. Mais les besoins sont encore importants, notamment en terme de formation du personnel, mais aussi dans l’achat de médicaments. “C’est un défi pour l’Eglise d’arriver à trouver suffisamment de soutiens pour maintenir ses oeuvres dans le pays”, confirme Mgr Natale Paganelli, administrateur apostolique du diocèse de Makeni où se trouve l’hôpital Saint Jean de Dieu. Gérant lui-même un hôpital dans son diocèse, il se dit inquiet pour l’avenir de ces structures “qui font tout le travail mais qui ne reçoivent aucune aide de la part du gouvernement.”
A Lunsar, la présence de nombreux volontaires venus d’Espagne ce 8 mars pour entourer les équipes locales (dont deux frères qui furent parmi les premiers fondateurs de l’hôpital) montre que le charisme d’hospitalité intrinsèque à l’Ordre hospitalier n’est pas prêt de disparaître. Pour Frère Bartholomew, “l’enjeu est d’arriver à pérenniser ce charisme au travers de solutions innovantes et d’une collaboration toujours plus active entre les provinces.”