Naissance de l’Hospitalité de nuit

Chaque année, le 24 décembre, le CHRS Forbin de la Fondation Saint Jean de Dieu organise une grande fête pour ses hébergés. Mais derrière cette célébration de Noël se cache une autre célébration, celle de la naissance de l’établissement lui-même, dont voici l’histoire.

Entrepôt de la rue Marengo, ancêtre du CHRS Forbin (L’Illustration, 14 novembre 1874)

Offrir un toit pour Noël

Par une froide nuit de Noël, à Marseille, trois pauvres hommes fatigués cherchent un refuge où dormir et poussent la porte d’un modeste abri : un ancien entrepôt de marchandises délabré de la rue Marengo, avec pour tout mobilier une table boiteuse, des bancs vermoulus, une trentaine de lits de planches et quelques mottes de paille. Dans ce décor très rudimentaire, en ce 24 décembre 1872, un homme les accueille d’un large sourire, c’est François Massabo, heureux d’assister à la naissance de son accueil de nuit.

Un généreux commerçant

François Massabo, fondateur du CHRS Forbin

Ce commerçant marseillais avait un jour décidé, en voyant autour de lui tous ces hommes que les épreuves de la vie poussent à la rue, de leur venir en aide en leur offrant un endroit où dormir en sécurité et au chaud. Son entreprise paraissait bien belle mais idéaliste. « Cela ne s’est jamais fait ! » lui disait-on pour le raisonner. Mais il n’abandonna pas et loua, avec ses propres économies, un ancien entrepôt qu’il baptisa « Œuvre Hospitalière de Marseille ».

S’il n’accueillit que trois personnes la première nuit, il en vint dix la suivante, puis cent, puis plus de trois cent à la fin de la première année. Tous les hommes étaient les bienvenus, quel que soit leur âge, leur religion ou leur nationalité, François Massabo ne refusait jamais personne et étalait de la paille par terre lorsque tous les lits étaient complets.

Une oeuvre modèle à pérenniser

La presse locale fit très vite l’éloge de cette nouvelle œuvre et Le Figaro publia un article au titre éloquent : « Pourquoi la ville de Paris n’aurait-elle pas comme Marseille une Œuvre Hospitalière ? »[1]. Ce sera bientôt chose faite et après Paris, les villes de Lyon, Clermont-Ferrand, Bourg-Lès-Valence, Rome, Berlin, Genève ou encore Constantinople fondèrent à leur tour des Œuvres Hospitalières sur le modèle de l’accueil de nuit de Marseille.

Mais François Massabo tenait aussi à ce que son œuvre lui survive et qu’elle demeure une œuvre chrétienne. Faire appel aux frères de saint Jean de Dieu a été une évidence : au XVIe siècle, leur fondateur ramassait tous les pauvres et les malades dans les rues de Grenade pour les conduire dans son hôpital. Qui mieux qu’eux pourrait donc s’occuper de son accueil de nuit ?

La tradition du 24 décembre

Le CHRS, aujourd’hui, rue de Forbin.

Les religieux ont accepté de prendre la direction de l’œuvre en 1897 et l’ont installé dans des locaux neufs, rue de Forbin, où il se trouve toujours aujourd’hui et où les frères et leurs collaborateurs poursuivent l’œuvre de François Massabo, l’améliorent et l’adaptent jour après jour aux nouveaux besoins des hébergés.

Ils poursuivent aussi une tradition instituée par François Massabo au soir du 24 décembre 1873. Afin de commémorer la fondation de son œuvre et d’offrir une vraie fête de Noël à ses protégés, il avait organisé le premier banquet de Noël, auquel avaient participé plus de 300 hébergés, mais aussi l’évêque, le maire de Marseille et la presse locale. « L’anniversaire de la pauvreté du Créateur devient aussi celui de l’asile des pauvres auxquels nous nous sommes dévoués » avait-il déclaré[2]. Et depuis ce jour, chaque 24 décembre, les hébergés, les frères, ainsi que des collaborateurs et bénévoles du CHRS fêtent Noël en partageant ensemble un grand repas.

1873, premier banquet de Noël célébrant l’anniversaire de l’établissement.

[1] Le Figaro, 22 mars 1875.

[2] La Gazette du Midi, 26-27décembre 1873