
La « signature » de saint Jean de Dieu
- 23 juin 2020
Cet étrange dessin très stylisé nous est bien familier. Même si l’on sait qu’il s’agit de la signature de saint Jean de Dieu, il n’en reste pas moins très mystérieux.
Ces quelques signes tracés à la plume il y a près de 500 ans sont très précieux puisqu’ils sont la seule trace manuscrite que nous ayons de saint Jean de Dieu. En effet, le fondateur de l’Ordre hospitalier a écrit un certain nombre de lettres durant sa vie dont six sont parvenues jusqu’à nous, mais aucune de ces lettres n’est rédigée de sa main. Bien sûr, ce sont ses mots et ses idées, mais couchés sur le papier par un autre, un secrétaire. Saint Jean de Dieu n’a tracé lui-même que la signature, qui permet d’authentifier le document.
Mais quelle étrange signature ! On serait tenté de lire « Yfo », or saint Jean de Dieu était appelé João Cidade en portugais, ou Juan Ciudad puis Juan de Dios en espagnol. Quel rapport entre le nom du saint et ces trois lettres ? Malheureusement, ni saint Jean de Dieu ni aucun de ses contemporains l’ayant connu ne nous ont laissé d’explication à ce sujet.
Des interprétations très variées
Depuis des décennies, de nombreux chercheurs se sont penchés sur cette question, proposant des interprétations plus ou moins convaincantes[1]. Pour en citer en quelques exemples, ces trois lettres, correspondant à des mots abrégés, pourraient se lire selon certains « Yo fray 0 » (Moi, frère zéro), « Yo servio de Dio » (Moi, serviteur de Dieu), « Yoannes fecit opus » (Jean a accompli cela), « Yoannes de Deo » (Jean de Dieu) ou encore « Christo » (« XPO » mal écrit).

Attardons-nous sur la dernière étude en date sur le sujet, menée par Elena Rodriguez Diaz de l’université de Huelva en Espagne, qui propose une nouvelle hypothèse en comparant la graphie de saint Jean de Dieu aux textes de l’époque
[2].
Une écriture hésitante
Tout d’abord, la manière dont il a fait courir sa plume sur le papier peut nous apprendre certaines choses. La taille disproportionnée de cette signature par rapport au texte, le léger tremblement des lignes verticales, la manière de former le « o » pourraient indiquer selon elle que saint Jean de Dieu n’avait qu’une maîtrise assez basique de l’écriture, bien qu’il sache parfaitement lire. Cela pourrait expliquer le fait qu’il avait recours à un secrétaire et aussi que sa signature ne soit pas son nom mais plutôt une devise, un emblème, sous forme de signes plutôt que de lettres.
Une devise ?

Selon cette chercheuse, on peut voir ici trois signes :
- un Y majuscule barré,
- une croix monogrammatique
- un o minuscule
Le Y barré signifierait « Yn », c’est-à-dire « In » en latin (à l’époque il n’était pas rare que le y remplace le i). Le signe suivant, la croix monogrammatique formée par les premières lettres du nom du Christ en grec XP, est complété par le « o », marque de l’ablatif en latin, pour former le mot « Christo ».
La comparaison avec les documents manuscrits et imprimés de l’époque permet de remarquer que certains détails graphiques comme la courbure vers la droite du « Y » ou la manière de dessiner la croix, sont des éléments populaires de l’époque, que saint Jean de Dieu a pu rencontrer dans des livres et sur des images pieuses, notamment lorsqu’il était libraire ambulant, et dont il a pu s’inspirer.
Saint Jean de Dieu aurait donc choisi de signer sa correspondance par une devise composée de trois signes (Y barré, croix et o) qui forment quatre lettres (YXPO) signifiant « In Christo », c’est-à-dire « en Jésus-Christ » . Mais pourquoi avoir choisi cette expression plutôt que son nom pour se représenter à la fin de ses lettres ?
Bien sûr, le manque de maîtrise de l’écriture de saint Jean de Dieu a pu l’encourager à choisir de dessiner des signes plutôt que d’écrire son nom. Le fait qu’il ait changé de nom pourrait aussi être une explication, ou peut-être une volonté de dissimuler ses origines ? Mais le plus important est surtout la symbolique forte que cette signature avait pour lui.
Un témoignage d’humilité
En effet, saint Jean de Dieu utilisait très fréquemment « In Christo » dans sa correspondance, jusqu’à sept fois dans la même lettre. Et la croix, placée au centre de sa signature, témoigne bien de la place du Christ dans sa vie. Il parle également lui-même dans l’une de ses lettres de la charge métaphorique qu’il attribue à ses armes, qui conservait brodées d’or sur une étoffe rouge et qu’il disait composées de trois lettres, pour les trois vertus théologales (foi, espérance, charité) [3].
Ainsi, la seule trace écrite que nous conservons de saint Jean de Dieu serait le témoignage de sa profonde humilité puisqu’il aurait choisi, plutôt que de rappeler son identité et ses origines par un nom propre, de se représenter par « In Christo », expression chargée de sens, témoignage de sa foi profonde et de sa communion avec le Christ, son modèle et inspiration dans sa vie dédiée aux autres.
Mais cette nouvelle interprétation reste une hypothèse et cette « signature », tout comme la vie de celui qui l’a tracée sur le papier, n’a pas fini de nous interpeller.
[1] Frère Calixto Plumed Moreno o.h. en a fait une recension dans son article « De Nuevo las tres letras de san Juan de Dios », dans Archivo Hospitalario, n°2, 2004, p. 275-291.
[2] Elena E. Rodriguez Diaz, « La “Firma” de San Juan de Dios : estudio paleografico », dans Archivo Hospitalario, n°14, 2016, p. 167-184.