
Le trésor disparu de la Charité
- 24 août 2020
Au XVIIe siècle, les Frères conservaient avec soin dans leur chapelle de la Charité de Paris le plus précieux de leurs trésors : un grand reliquaire de saint Jean de Dieu.
Ils avaient attendus près de 30 ans pour l’obtenir, malgré le soutien d’Anne d’Autriche qui suppliait son frère le roi d’Espagne, de leur accorder une relique de leur fondateur. Mais celui-ci était en guerre contre la France. Lorsqu’enfin Philippe IV est vaincu par Louis XIV et signe le traité des Pyrénées en 1660, il décide d’offrir à sa sœur, la reine-mère, la relique tant convoitée en gage de paix entre les deux royaumes.

(Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, Paris)
L’arrivée du reliquaire à Paris et toutes les festivités qui l’ont accompagnée sont racontées en détail par un contemporain, le Père Jean de Loyac, aumônier du roi et proche de la reine-mère[1].
Anne d’Autriche reçoit un jour une caisse portant une simple étiquette avec l’inscription en espagnol « à la reine très chrétienne ma très chère sœur et dame ». Elle fait alors immédiatement appeler Frère Dauphin Ville, Provincial de France de l’Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu (ou plutôt du Bienheureux Jean de Dieu puisque qu’il n’est canonisé qu’en 1690), ainsi que le Prieur de l’hôpital de la Charité car elle souhaitait l’ouvrir en leur présence. La caisse contenait un magnifique reliquaire pyramidal d’argent doré ciselé, protégé par un riche étui de maroquin rouge parsemé de petits clous d’or. Dans ce reliquaire, les frères et la reine découvrent une relique du bras droit de saint Jean de Dieu.
Anne d’Autriche prie alors les religieux de conserver ce précieux cadeau dans leur chapelle et une cérémonie de translation somptueuse est organisée pour conduire le reliquaire à son emplacement définitif. Pour l’occasion, l’église de l’hôpital de la Charité est magnifiquement décorée de tapisseries d’or et de soie et la chapelle qui devait accueillir le reliquaire a reçu une décoration qualifiée de « peu commune » : des trompe-l’œil, un jeu de lumières très travaillé et des tableaux peints en relief de Jean de Dieu dans la gloire, et de la France et de l’Espagne représentés par des figures aux armes et devises des deux pays de part et d’autre d’un petit autel qui devait recevoir la « royale pyramide » offerte par Philippe IV. Le reliquaire est apporté par une grande procession de plus de 600 personnes et les festivités durèrent plusieurs jours. On a même tiré des feux d’artifice pour l’occasion !

(Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, Paris)
Ce reliquaire se trouvait toujours dans la chapelle de l’hôpital de la Charité lorsque la Révolution française a éclaté. A partir de cet instant, nous perdons sa trace. Qu’est-il devenu ? Nul de le sait mais les rumeurs vont bon train. Aurait-il été caché dans un pilier creux de la chapelle avant l’arrivée des révolutionnaires ? Selon une tradition orale, les religieux l’auraient emporté avec tous leurs biens les plus précieux sur un bateau qui aurait remonté la Seine à la nuit tombée jusqu’à leur maison de Charenton (l’actuel hôpital Esquirol) où ils l’auraient caché avec tant de soin que personne ne l’a jamais retrouvé[2]. Ainsi, peut-être se trouve-t-il encore quelque part, emmuré dans cet hôpital et sera un jour découvert au cours d’un chantier de rénovation. Plusieurs curieux se sont déjà penchés sur cette question mais personne n’a à ce jour réussi à remettre la main sur le trésor caché des Charitains !
[1] Jean de Loyac, le Triomphe de la charité en la vie du Bienheureux Jean de Dieu, institution et progrès de son Ordre religieux, Paris 1661, chapitres 24 à 26.
[2] Daniel Des Roches, « la maison de santé de Charenton », dans La Thébaine, janvier-février 1936.