L’hospitalité à l’épreuve de la peste

Au XVIIe siècle, les Frères de la province de France ont toujours répondu présents pour assister les malades lors des épidémies de peste et leur action a parfois été véritablement déterminante pour en venir à bout, notamment à La Rochelle, Roye et même à Rome.

A La Rochelle, volontaires malgré les risques

Ancien hôpital des Frères de Saint Jean de Dieu à La Rochelle.
(PHGCOM, Wikimedia Commons)

Durant le siège de La Rochelle en 1627, le roi Louis XIII appelle les frères de Saint Jean de Dieu pour soigner ses soldats malades et blessés. Après la chute de la ville en 1628, il leur demande de rester et de gérer l’hôpital local. Mais la peste se déclare, une peste particulièrement meurtrière. Les 20 frères de Saint Jean de Dieu alors présents sur place ne se ménagent donc pas. Ils commencent par porter leur nombre de lits de 60 à 360 et soignent inlassablement les malades qui affluent. Mais contaminés à leur tour, 18 d’entre eux meurent de la peste.

À Paris, le Supérieur provincial est effondré par la nouvelle : La Rochelle a besoin de religieux pour remplacer ceux qui ont péri, mais avec une telle mortalité, est-ce envisageable ? Il décide de réunir les frères de Paris pour leur exposer la situation. À sa grande surprise, ces derniers s’agenouillent devant lui avec ferveur en le priant de les envoyer là-bas[1]. Ainsi, en quelques jours, La Rochelle reçoit les renforts tant espérés pour venir à bout de la peste.

A Roye, un frère au secours de la ville

En 1636, suite à leur dévouement à La Rochelle, Louis XIII offre aux frères un nouvel hôpital en Picardie, à Roye. Mais en 1668 la peste envahit la région. Les médecins de Roye sont impuissants à la contenir et la population, effrayée, veut fuir la ville. C’est alors que Frère Jérôme Lesturgeon, à la fois médecin, chirurgien et pharmacien, accourt en ville pour remonter le moral de la population et prêter assistance aux malades. En professionnel expérimenté, il organise toute l’assistance médicale et infirmière et met en place les mesures d’hygiène nécessaires. Malgré toutes ses précautions, il contracte la maladie, mais cela ne l’arrête pas ! Cachant à tous son état de santé, il continue à soigner les malades, tout en se soignant lui-même jusqu’à réussir à se guérir. Ainsi, en peu de temps, l’épidémie peut être maîtrisée, tous les malades pris en charge et beaucoup être sauvés[2].

A Rome, saint Jean de Dieu fait un miracle

Costume du médecin durant la peste de Rome de 1656, Gravure satyrique de Paulus Fürst
(Ifwest, Wikimedia Commons)

L’épidémie de peste de 1656 à Rome mérite aussi notre attention pour le rôle important qu’y a joué un frère français, Frère Pascal Lhomme, religieux prêtre qui donnait des cours de médecine et de chirurgie à l’hôpital de l’île du Tibre à Rome au milieu du XVIIe siècle.

À cette époque, la peste ravage peu à peu l’Italie. À Naples, la mortalité est spectaculaire mais à Rome, elle est maîtrisée grâce au pape Alexandre VII qui décide de confier la gestion de cette crise à Mgr Jérôme Gastaldi. Pour contenir l’épidémie, celui-ci met immédiatement en place une organisation très stricte qu’il racontera plus tard dans un livre. Toute l’île du Tibre est alors transformée en lazaret pour permettre d’isoler et de soigner les malades. Les frères de Saint Jean de Dieu qui y gèrent l’hôpital n’ont alors aucun répit, certains contractent la maladie et en meurent. Expert en maladies contagieuses, le Frère Pascal Lhomme s’illustre pour ses compétences, son efficacité et son dévouement. Il s’adjoint l’aumônier de l’hôpital pour s’occuper des âmes de ses patients et administrer les sacrements pendant que lui-même prodigue les soins aux corps[3]. Malgré les risques, le duo traite tous les malades avec attention, même les plus dangereux.

Le lazaret de l’Ile du Tibre pendant la peste de 1656, avec les charrettes apportant les malades et les barques évacuant les morts. (Wellcome Library, Londres, M0016011)

Le 15 août 1656, Frère Pascal voit entrer au Lazaret de l’Île du Tibre une nouvelle malade de la peste confiée à ses soins. Il s’agit de la jeune Isabella Arcelli, 16 ans, qui présente une fièvre maligne, des pustules, un bubon et des taches noires sur le corps. Durant la nuit, le bienheureux Jean de Dieu apparaît à la jeune fille et lui annonce sa guérison. Le lendemain, le Frère Pascal est surpris de constater que sa patiente ne porte plus de traces de la maladie, à part un ganglion qu’il doit inciser mais cette opération de laisse aucune cicatrice[4]. Reconnu par le Vatican, ce miracle est l’un des deux qui ont ensuite permis la canonisation de saint Jean de Dieu en 1690.

Autre fait extraordinaire, Frère Pascal réussit à se préserver de la maladie, malgré son action en première ligne, ce qui ne manque pas de provoquer l’admiration de la population. L’épidémie enfin terminée, le peuple romain reconnaissant proclame : « Vivent le Pape Alexandre et le Père Pascal, qui nous ont libérés de la peste ! »[5]


[1] Recueil des bulles et brefs qui concernent l’Ordre de la Charité en France, Paris, 1723, p. 245.

[2] Ibid., p. 248.

[3] Cardinal Jérôme Gastaldi, Tractatus de auertenda et profliganda peste politico-legalis, Chapitre 5, p. 40.

[4] Gabriele Russotto, Saint Jean de Dieu et son Ordre Hospitalier, Tome 2, p.225-228.

[5] F.M. Angrisani. Li fasti umili dell’ospitalità, manuscrit de 1721, Archives générales de l’Ordre à Rome, col. Hist. 87.