La sonde cachée du Professeur Guyon

La Clinique Saint Jean de Dieu était très renommée dès le XIXe siècle, notamment pour son service d’urologie, grâce aux nombreux praticiens de grande qualité qui y exerçaient mais aussi grâce à ses frères infirmiers aux conseils avisés.

Le secret du “père de l’urologie”

Pr. Félix Guyon pratiquant une lithotritie
(Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, Paris)

Au début du XXe siècle, les deux tiers des chambres étaient dévolus aux patients des chirurgiens urinaires. Parmi eux, il y avait le professeur Félix Guyon (1831-1920), considéré comme le père de l’urologie. Il possédait une arme secrète pour venir à bout des calculs les plus récalcitrants : une mystérieuse sonde noire de son invention. Noire, pour qu’une fois glissée dans la manche droite de sa redingote, personne ne puisse la voir, même de ses assistants lors des interventions car sa forme devait rester secrète. La légende raconte que le professeur Georges Marion a percé le mystère en se cachant sous une table de consultation[1]. Mais ce dernier donne une toute autre explication de sa découverte de la sonde noire, voici donc sa version[2].

Les bons conseils du Frère Apollinaire

Dr. Marion et Fr. Apollinaire au bloc opératoire de la clinique, préparant leurs instruments avant une opération.
(Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, Paris)

L’histoire se passe en 1910 à la Clinique Saint Jean de Dieu, quelques années après le départ en retraite du professeur Guyon. Le docteur Marion, assisté par Frère Apollinaire Nuez, chef infirmier, tente de sonder un patient, mais en vain : aucune des sondes à sa disposition ne semble adaptée. Il hésite pourtant à pratiquer une opération chirurgicale car le malade est âgé et fatigué. C’est alors que le religieux, l’air malicieux, lui fait un petit signe pour l’attirer dans le couloir et lui dit humblement : « Voulez-vous essayer la sonde noire de Monsieur Guyon ? » Le docteur Marion, intrigué, lui demande de quelle sonde il veut parler. Frère Apollinaire, qui a longtemps assisté le père de l’urologie, lui répond alors : « Je vais la chercher…c’est une sonde qu’utilise Monsieur le professeur, mais qu’il ne veut pas trop montrer ». Et la mystérieuse sonde qu’il lui apporte est introduite dans la vessie du patient sans la moindre difficulté à la grande surprise du chirurgien.

Une sonde tombée dans l’oubli

Le lendemain, le docteur Marion, à qui le frère avait accepté de confier l’instrument, se rend à Necker pour demander à son chef de clinique s’il connait cette sonde : jamais vue. Il interroge ensuite les infirmiers les plus anciens : tout le monde ignore son existence et le service n’en possède pas de semblable. Il décide donc de rendre visite au fabriquant qui lui avoue que cela fait des années qu’on ne lui en demande plus mais qu’il lui en reste quelques-unes au fond d’un placard.

Toujours utilisée aujourd’hui

Frère Apollinaire Nuez, chef infirmier, au bloc opératoire de la clinique vers 1930

Cette sonde, qui sans le Frère Apollinaire aurait sans doute été oubliée, a ensuite été enseignée par le Docteur Marion à toutes les générations d’étudiants passées dans son service, car elle était dans bien des cas très supérieure à toutes les autres. Elle est d’ailleurs toujours utilisée aujourd’hui, sous le nom de sonde de Marion.

Quant au modeste religieux, il a continué à apporter son aide aux chirurgiens de la clinique, leur prodiguant des conseils avisés issus de sa longue expérience puisque, comme il le disait souvent en rougissant « Dame ! On n’arrive pas à septante ans sans avoir remarqué bien des choses. »


[1] Pierre Léger, Chroniques de l’urologie française, 1998.

[2] Publiée dans le Journal d’Urologie Médicale et Chirurgicale en août 1934.