
Molière, membre de la famille hospitalière saint Jean de Dieu ?
- 21 janvier 2022
Dans la France du XVIIe siècle où l’Eglise excommuniait les comédiens, tout semble opposer Molière et les Frères de Saint Jean de Dieu. Et pourtant, le plus célèbre des dramaturges a pris sa plume pour leur écrire deux quatrains.
Des critiques envers les religieux ?
Cette nouvelle peut étonner car certaines pièces de Molière sont plutôt de nature à faire bondir tout bon Frère de la Charité. Un personnage comme Dom Juan, notamment, se moque ouvertement la charité chrétienne. Lorsque son chemin croise celui d’un mendiant, il tente de le faire blasphémer en échange d’un louis d’or. Son Tartuffe, le faux-dévot, s’exclame quant à lui hypocritement « On ne peut trop chérir votre chère santé ; Et pour la rétablir, j’aurai donné la mienne », (acte III, scène 3). Ne pouvait-on pas penser qu’il se moquait là du vœu d’hospitalité, qui engage les frères à s’occuper des malades même au péril de leur vie ?

Des critiques envers les soignants ?
Molière est également l’auteur de plusieurs pièces où professionnels de santé et traitements médicaux sont tournés en ridicule alors que les Frères de Saint Jean de Dieu pratiquaient la médecine, la chirurgie et la pharmacie. Que pouvaient-ils penser de tirades telles que « Il ne faut jamais dire : une telle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur la poitrine mais : elle est morte de quatre médecins et de deux apothicaires. » (L’Amour médecin, acte II, scène 1) ?
Membre de la confrérie de Saint Jean de Dieu
Et pourtant, en 1665, alors qu’il venait d’écrire ces trois pièces (Tartuffe, Dom Juan et l’Amour Médecin), Molière comptait parmi les amis proches des Frères de Saint Jean de Dieu. A cette date, le Pape Alexandre VII reconnaissait officiellement la Confrérie de l’esclavage de Notre Dame de la Charité qui rassemblait les amis, bienfaiteurs et bénévoles des Frères de Saint Jean de Dieu. Sur l’estampe-souvenir gravée pour l’occasion et symbolisant les liens de charité qui unissent les frères, leurs amis, Notre Dame de la Charité et saint Jean de Dieu, on pouvait lire ces quelques vers :

(Phe, Wikimedia Commons)
Brisez les tristes fers du honteux esclavage
Où vous tient du péché le commerce odieux
Et venez recevoir le glorieux servage
Que vous tendent les mains de la reine des cieux !
L’un sur vous à vos sens donne pleine victoire ;
L’autre sur vos désirs vous fait régner en rois
L’un vous tire aux enfers et l’autre dans la gloire.
Hélas ! Peut-on, mortels, balancer sur ce choix ?
Jean-Baptiste Poquelin Molière
Ces deux quatrains empreints de dévotion ont été composés par un membre de la Confrérie qui apposa sa signature en bas du document : Jean-Baptiste Poquelin Molière.
Un familier des frères de la Charité
Comment le comédien a-t-il connu les religieux de la Charité ? Sans doute par la fondatrice de la Confrérie, la reine Anne d’Autriche, qui appréciait ses pièces de théâtre, ou bien tout simplement par son oncle, Louis Poquelin, administrateur de l’hôpital de la Charité de Paris. Toujours est-il qu’au plus fort du scandale autour du Tartuffe, au plus fort des attaques et des critiques qui le présentaient comme un impie, ces vers témoignent de la piété de Molière qui souffrait que le sens de ses œuvres soit mal compris de son public.
Des critiques envers les imposteurs

Il s’agissait en effet moins de la religion proprement dite que de ses pratiques dénaturées qu’il condamnait et c’est justement à cause de son profond respect pour les vrais dévots qu’il critiquait vivement ceux qui se faisaient passer pour tels. Il précise dans la préface de Tartuffe que « l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes […] et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts ». De même, sa critique des médecins ne s’adressait qu’aux nombreux charlatans qui sévissaient à l’époque. Loin de condamner la médecine ou la religion, c’est l’imposture qu’il condamnait.
Mais malgré toutes ses explications, Molière conservera toute sa vie cette image d’impie. Ainsi, en 1673, alors qu’il se trouve à l’article de la mort et demande un prêtre, deux refusent de se déplacer et le troisième arrive trop tard. Décédé sans se confesser, on lui refuse la sépulture. Son épouse finira par l’obtenir mais à condition que la cérémonie ait lieu dans la plus grande discrétion.
Hospitalier malgré les apparences
Molière n’a cependant jamais cessé de manifester ses convictions chrétiennes. Il a toujours témoigné une grande générosité à l’égard de ses amis et travaillait sans relâche, malgré sa maladie, afin de subvenir aux besoins de sa troupe et apporter de la joie à son public. Il était également bienfaiteur de plusieurs congrégations religieuses et se souciait du sort des pauvres, des malheureux et des malades. Son adhésion à la Confrérie et les deux quatrains qu’il a composés pour elle laissent penser qu’il s’efforçait au côté des Frères de Saint Jean de Dieu de vivre en bon chrétien et d’améliorer le sort de ses semblables.