
A partir de 1622, lorsque l’enquête pour la béatification de Jean de Dieu a commencé, des centaines de personnes sont venues témoigner des souvenirs qu’elles avaient gardé de lui, une source inestimable pour une meilleure connaissance de notre fondateur.
De son vivant, Jean de Dieu était considéré comme un saint à Grenade et dans les villes où il était passé. Son action auprès des plus vulnérables s’est déroulée en majorité dans les rues où il quêtait, distribuait des aumônes, recueillait les malades. Ainsi, beaucoup de gens ont été témoins de ce qu’il a fait et en sont restés profondément marqués. Ils ont ensuite raconté cela à leur famille, à leurs amis, à leurs voisins, contribuant à construire une mémoire collective, devenue progressivement de plus en plus merveilleuse.
Documenter la vie de Jean de Dieu
Lorsqu’il a été question de faire béatifier Jean de Dieu, une enquête a été ouverte à partir de 1622 et ce sont plus de 460 personnes qui sont venu témoigner. Mais Jean de Dieu était mort depuis déjà 72 ans. Les témoins étaient donc des personnes très âgées, parfois centenaires, qui l’avaient connu lorsqu’ils étaient enfants ou bien des personnes qui avaient entendu parler de lui par un proche décédé.
Le recueil de ces témoignages a été bien encadré pour éviter les exagérations et inventions : chaque témoin devait prêter serment, un questionnaire a été élaboré pour guider les interrogatoires et certains témoins ont été entendus plusieurs fois pour vérifications et compléments d’information. L’enquête a été longue, mais elle a aboutit en 1630 avec la béatification de Jean de Dieu par le pape Urbain VIII lors d’une messe solennelle célébrée à la basilique Saint-Pierre de Rome.
Tous ces témoignages ont été annexés au procès de béatification de Jean de Dieu. Ils ont été utilisés comme sources pour plusieurs biographies du saint et ont été entièrement retranscrits par le Frère José Luis Martinez Gil pour être publiés en 2006 sous le titre Proceso de beatificación de San Juan de Dios.
Voici à titre d’exemples quatre extraits de témoignages de personnes âgées interrogées lors du procès de béatification qui ont vécu enfants à Grenade et racontent de manière vivante leur rencontre avec Jean de Dieu :
« Je me souviens qu’un jour, allant avec ma mère acheter des ustensiles de cuisine à la place Bibrambla, j’ai vu, au moment de l’achat, arriver le P. Jean de Dieu, portant sur ses épaules un pauvre malade. Il le déposa à la fontaine de la place (c’était l’été) et, au magasin de confections, lui acheta un vêtement, un pantalon, une chemise. Revenu à la fontaine, il dépouilla le pauvre des guenilles, noires comme de la suie, qu’il portait, le lava à grande eau dans le bassin, l’habilla d’une chemise, d’un pantalon noir et d’une casaque, le chargea de nouveau sur ses épaules et se mit en route avec lui pour son hôpital, tout cela avec une grande charité, ce que purent voir tous les gens se trouvant sur la place. »
Francesca Vanegas, 91 ans
« Je l’ai vu passer plusieurs fois dans ma rue. Mon père, qui était juré de la ville, l’invitait à prendre son repas à notre table. Promptement rassasié d’un peu de bouillon et de pain, il ne mangeait rien d’autre et emportait le reste pour ses pauvres. Il en usait de même chez l’archevêque, chez le président et chez les autres notables de la ville. »
Ines de Avila, 97 ans
« Il demandait l’aumône pour ses pauvres, affublé d’un mantelet fait de deux étoffes grossières, valant bien quatre réaux, d’une culotte de grosse toile arrivant aux genoux, nu-tête, nu-pieds, nu-jambes, la tête et la barbe rasées, un cabas à l’épaule, en main deux marmites attachées par une corde. Il allait par les rues en criant : « Frères, qui veut se faire du bien à lui-même ? » C’est ainsi qu’il demandait l’aumône. Tous avaient compassion et lui donnaient beaucoup. »
Jean de Salazar, 80 ans
« J’ai connu Antoine Martin. Il était grand et portait un bonnet multicolore. Jean de Dieu était moins grand, avait le visage maigre et fin, marchait nu-pieds, vêtu seulement d’un mantelet de serge s’arrêtant au genou, sans rien d’autre et sans chemise, la barbe rasée, nu-tête, ceint d’une corde. Tous deux s’empressaient auprès des pauvres avec une grande charité. Comme son hôpital était trop petit, il en avait acquis un autre, dans le haut de la côte de Gomeres, à main gauche quand on la remonte, près de la porte de l’Alhambra. Après l’avoir aménagé, Jean y soigna et dorlota quantité de pauvres. Je l’ai vu de mes yeux, et souvent, porter les pauvres sur ses épaules ; parfois même, il en portait deux à la fois, ce qui était regardé comme un miracle : comment un homme aussi maigre et nu-pieds pouvait-il se charger de deux indigents à la fois ? Tout le monde en était émerveillé. »
Antoine Rodriguez, 105 ans